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Liaison-Action N°138


Echec à la précarité

La lutte des enquêteurs pigistes de l’INSEE, puis des délégués du recensement doit nous faire réfléchir. Ce sont sans doute des luttes différentes, avec d’un côté des précaires qui travaillent depuis des années pour l’INSEE, de l’autre, des délégués recrutés dans les ANPE. Mais il y a beaucoup d’éléments communs. Tout d’abord que les précaires, les chômeurs refusent ce que les économistes libéraux considèrent comme " normal " : petit boulot, petite paie, petits droits sociaux. Lorsqu’un employeur public comme l’INSEE utilise les pires ficelles du droit public pour leur imposer des contrats ignobles, ils se révoltent. D’autant plus qu’ils ont conscience d’accomplir une tache d’intérêt public, en s’y investissant avec passion et compétence. Aussi l’unité syndicale leur a permis de trouver le chemin du soutien des agents de l’INSEE. Qui n’a dans sa famille des précaires, des chômeurs, qui vivotent sans pouvoir espérer une amélioration de leur situation ?

Cette explosion punit la direction de l’INSEE de son inconséquence. Depuis des semaines, des mois pour les enquêteurs, nous l’avons averti du ras le bol des précaires qu’elle emploie. Elle n’a rien voulu entendre. Pour cette direction, le non respect systématique des dates de versement des rémunérations est un regrettable problème technique. Pour des centaines de précaires, cela représente des menaces d’interdiction bancaire, de lourds agios sur des paies déjà faibles, des difficultés à payer son loyer, à faire ses courses. Deux mondes se sont affrontés sans se comprendre. Les interventions policières contre les délégués à Clermont-Ferrand, Marseille, Nantes et Orléans sont le fruit logique de la distance sans cesse grandissante entre la direction de l’INSEE d’avec la réalité du terrain. Elles sont injustifiables.

Ces luttes sont pour nous des succès éclatants

Les délégués du recensement ont obtenu, partout où ils se sont battus, une revalorisation substantielle de leur rémunération. Au delà du fric, ils l’ont vécu comme la vraie reconnaissance par la direction de l’INSEE de la valeur de leur travail, de leur dignité. Les fonctionnaires qu’ils ont rencontré les ont très majoritairement soutenus. Les délégués ont souvent constaté que les agents sont aussi peu respectés par les directions de l’INSEE qu’eux-mêmes. Ils repartent avec la conscience que la lutte collective et l’unité syndicale paient. Ce sont des leçons chèrement acquises, mais très positives.

Pour les enquêteurs pigistes de l’INSEE, c’est un bel encouragement à faire aboutir leurs droits à un emploi durable et des droits sociaux reconnus.

Pour les personnels de l’Institut, c’est la preuve que l’on peut, par la lutte, imposer un avenir différent que celui que DOPS dessine. Penser par exemple à un futur recensement en continu réalisé pour l’essentiel par des agents de l’INSEE n’est plus un rêve. Nous pouvons l’imposer.

Pas touche à nos retraites !

Le rapport Charpin est typique de la pensée unique. Prévu pour donner un diagnostic " objectif " sur l’avenir du système de retraite, il s’est coulé dans les schémas libéraux :

    - refus de toucher aux profits ;

    - refus d’envisager une baisse du chômage ;

    - volonté de favoriser l’arrivée massive des banques et sociétés d’assurance sur le " gâteau " des retraites.

Au total, un diagnostic très contestable.

Nous ne sommes pas surpris que le tollé soulevé par ses propositions conduisent le gouvernement à différer des décisions scandaleuses comme l’allongement des annuités et la destruction des régimes spéciaux. Mais, puisque le débat est ouvert, nous versons au débat le texte suivant, paru en tribune libre dans le journal Le Monde et signé d’un responsable de la Fédération des Finances CGT. Il reflète bien nos interrogations.

Pour une information plus complète, nous publierons, en commun avec la CFDT, un dossier d’information présentant diagnostic et choix.

Mais au delà, nous voulons que des mobilisations nationales soient organisées pour défendre nos systèmes de retraite, réunissant retraités, actifs et chômeurs. C’est en descendant dans le rue, comme en 1995, que nous imposerons au gouvernement les bons choix.

Retraites : une catastrophe trop annoncée
par Jean-Christophe Chaumeron, Bruno Dalberto, Pierre Khalfa, François Labroille

Depuis des mois, les scénarios les plus catastrophiques, les prévisions les plus apocalyptiques sont mis en avant pour justifier une réforme en profondeur du système actuel de retraites.

L'essentiel de l'argumentation du rapport du commissaire au Plan Jean-Michel Charpin repose sur des considérations démographiques. Indéniablement, le nombre des personnes âgées va fortement augmenter dans les prochaines décennies. Encore faut-il en relativiser la portée quand on sait que, du strict point de vue de la " charge " pesant sur les actifs, le phénomène sera en partie compensé par l'effectif moins nombreux des générations jeunes, compte tenu de l’évolution récente de la fécondité.

Ce qui importe, du point de vue démographique, c'est le rapport entre le nombre de personnes en âge de travailler et le nombre de celles qui sont soit trop âgées, soit trop jeunes pour le faire. On comptait 1,23 inactif (jeunes et personnes âgées) pour 1 actif en 1995; cela passerait à 1,54 en 2040, très loin du doublement de la charge par actif mis en avant dans le rapport Charpin. Le véritable débat porte sur la capacité de l’économie française à financer l'augmentation de la part des richesses - 4 points de PIB, dans le pire des cas, sur 40 ans - à consacrer aux retraites. Ce sont les choix opérés en matière d'emploi, de croissance et de productivité qui sont ici déterminants.

Car les actifs prennent en charge les jeunes, les personnes âgées, mais aussi les autres personnes inoccupées, principalement les chômeurs. L'emploi est donc une question-clef. Suivant le niveau d'emploi, la charge économique pesant sur les actifs sera totalement différente. Ainsi, selon les calculs faits par le commissariat général du Plan, dans l'hypothèse d'un chômage à 6 % à partir de 2005, le ratio de dépendance élargie qui mesure la charge économique totale que font peser 1’ensemble des inoccupés sur les occupés passerait de 1,63 en 1995 à 1,73 en 2040. Où est le choc tant annoncé ? Mieux même, nous serions dans une situation plus favorable en 2020 (1,52) et quasi identique en 2030 (1,64).

On sera alors d'autant plus loin d'un choc dévastateur que l'augmentation des richesses produites aura été importante, c'est-à-dire que l'emploi aura été développé et que la croissance économique aura été soutenue et réorientée vers les activités les plus utiles. A cet égard, les hypothèses retenues par le rapport Charpin en matière de gains de productivité et de croissance sont même en retrait par rapport aux niveaux atteints pendant les années de crise.

L’avenir des retraites renvoie ainsi beaucoup plus à des orientations économiques et sociales qu'à l’évolution de la pyramide des âges. C'est donc en esquivant le défi de l'emploi et de la croissance et en dramatisant des projections démographiques que le rapport Charpin justifie sa proposition d'augmenter à 42,5 le nombre d'annuités nécessaires pour disposer d'une retraite à taux plein. Une telle proposition, qui revient à préconiser un allongement du nombre d’années travaillées est pourtant contradictoire avec l’état du marché du travail marqué par un fort chômage des jeunes et la généralisation des dispositifs de préretraite.

Le commissaire au Plan confesse d'ailleurs que, " dans ce contexte, il y aurait donc une certaine incohérence d vouloir décaler l’âge de départ d la retraite ". Cela ne l’empêche pas quelques lignes plus loin de balayer cette objection en indiquant que " le chômage supposé (9 % et 6 % à comparer à 11,4 % actuellement) correspond... à une incapacité collective d insérer dans I'emploi certaines catégories de main-d’oeuvre (inadaptation des qualifications, malgré l’amélioration du niveau des formations, aux contraintes technologiques par exemple)". Après avoir ainsi laissé de côté des millions de personnes, le rapport peut tranquillement affirmer que " la France manquera probablement à cette date (2010-2020) de personnes en âge de travailler " et justifier par là même le recul de l'âge de la retraite.

Une telle mesure, si elle était mise en œuvre, reviendrait soit à préférer entretenir le chômage des jeunes plutôt que de payer des retraites soit à baisser le montant des pensions, ce qu'admet implicitement le rapport.

Les contours de la réforme -ou plutôt de la contre-réforme- deviennent alors évidents. Certes le rapport Charpin n'évoque que de façon allusive les fonds de pension, mais comment ne pas voir que la baisse programmée des pensions sera "un encouragement " pour les salariés en ayant les moyens (les mieux payés dans les grandes entreprises, quant aux autres...) d'adhérer à des fonds d'épargne dans le but de compléter leur retraite.

Le régime par répartition valorise la responsabilité politique et l'exercice de la démocratie

Annoncées pour " le préserver et le consolider ", les mesures envisagées menaceraient en fait de dépérissement le système par répartition. Il est en effet totalement illusoire de croire que l'on pourra maintenir à moyen et long terme la coexistence entre la répartition et la capitalisation. Les revenus des deux systèmes ne s'additionnent pas. Les actifs des fonds de pension sont composés d'obligations et d'actions. Or un bon rendement des obligations suppose des taux d'intérêt réels élevés, ce qui est contraire à la croissance, donc à l'emploi. Le bon rendement des actions suppose de comprimer la masse salariale au maximum. Dans les deux cas, ce sont les ressources du système par répartition qui seront affectées.

En plus, les fonds de pension n'offrent aucune garantie de revenu pour l'avenir, comme l'a clairement explicité l’OCDE: " A mesure que les membres des générations du baby boom partiront à la retraite dans 10 à 20ans, ils auront probablement un comportement de vendeurs nets au moins pour une partie des titres accumulés durant leur vie de travail La génération suivante est de moindre taille, il existe donc une possibilité de baisse du prix des titres... il existe donc une possibilité qu'au moment de la retraite, la génération du baby boom découvre que le revenu tiré des fonds de pension est inférieur à ce qui avait été prévu par simple extrapolation des tendances actuelles. " (OCDE 1998.)

La mise en place d'un fonds de réserve, qui n'est rien d'autre qu’un fonds de capitalisation, encours d'ailleurs les mêmes critiques. Les mêmes qui poussent des cris d’orfraie à l'idée que la part des retraites dans le PIB puisse augmenter de 4 points sur une période de 40 ans, ne semblent pas s'offusquer de ce que le montant de ce fonds de réserve doive être immédiatement de 3 à 10 points de PIB !

Alors, pourquoi envisager de prendre de telles mesures ? Certes la force des lobbies financiers et les liens étroits qu'ils entretiennent avec les politiques peuvent éclairer bien des choses. Mais cette réponse, pour juste qu’elle soit, est insuffisante Elle laisse de côté l'essentiel car elle ne dit rien sur les caractéristiques propres du système par répartition

Dans le régime par répartition, ce n'est pas l'état des marchés financiers qui détermine le montant retraites, c'est la société qui décide politiquement qu’elle est la part de la richesse produite qui doit aller personnes âgées. Un tel système valorise la responsabilité politique donc la possibilité d'exercice de la démocratie. La répartition démontre que l'accumulation privée du capital n’est pas nécessaire pour tenir des engagements financiers massifs et de long terme. La cotisation sociale y pourvoit en se transformant immédiatement en une prestation. La logique du salaire socialisé (salaire direct et cotisation sociale) permet par une large mutualisation salariale de répondre à des besoins financiers considérables .

On comprend mieux l'acharnement contre la répartition. On comprend mieux aussi les raisons de la défendre et de la consolider en modifiant le partage de la richesse produite avec une part accrue consacrée à la masse salariale au sens large du terme. Dans cette perspective, les mobilisations à venir pour sauvegarder l'avenir des retraites devront prendre en compte les analyses et les propositions mises en débat par le mouvement syndical.

 

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