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Liaison-Action N°136


Edito

Nos proches, ceux qui savent que nous travaillons à l’INSEE, nous demandent souvent si "c’est vrai, ce que disent les statistiques ". Sacrée question, à laquelle il n’est pas facile de répondre ! C’est que souvent, en fait, la vraie question qu’ils se posent, c’est " est-ce que l’économie est toute-puissante ? ". Sous-entendu, vous qui êtes dans les chiffres, est-ce que la mondialisation, tout le bla-bla des médias sur les " nécessités économiques qui s’imposent à nous", est-ce que c’est vrai ?

Cette réflexion, nous devons la mener à partir de ce que nous savons. Malgré l’accélération de la circulation des capitaux, l’affaiblissement du rôle des Etats, c’est encore l’attitude des salariés, des citoyens qui reste déterminante. Nous l’avons vu sur le projet d’accord international connu sous le nom d’AMI, qui voulait donner à des tribunaux de commerce internationaux le pouvoir sur tout ce qui est investissement et aides publiques. Négocié dans le plus grand secret, y compris par des hauts fonctionnaires français, pendant plus de 5 ans, il a capoté dès qu’il a fait l’objet de publicité. En effet, immédiatement, un réseau international de syndicats, d’associations, de citoyens, d’organisations non gouvernementales se sont contactées, mobilisées, regroupées pour dire : l’AMI est votre ennemi, c’est le pouvoir sans frein des groupes internationaux au détriment de celui des citoyens, des consommateurs, des salariés. Ce succès nous indique le chemin à suivre. Si nous voulons défendre notre service public d’information économique et sociale, il faut prendre l’offensive, nous allier à tous ceux qui ont les mêmes intérêts : associations de chômeurs et d’exclus pour développer les statistiques sur les inégalités, organisations syndicales des autres Instituts nationaux de Statistiques pour voir se développer une stat européenne de qualité, partenaires sociaux et professionnels en région pour développer la stat locale.

Aux incessantes réorganisations initiées par la direction de l’INSEE et qui consomment une part de plus en plus importante de l’énergie, nous devons opposer le débat public sur les besoins de la société et donc de nouvelles missions et nous allier à tous ceux qui veulent des chiffres sur la réalité de cette société, et en particulier de ses inégalités. Nous devrons aussi nous battre pour des recrutements, pour permettre le passage aux 35 heures en ouvrant à la jeunesse notre Institut.

Zoom sur une mission discrète
Le recensement en continu de la population (RCP)

Depuis environ deux ans, la direction de l'INSEE a chargé une mission d'étudier, dans la discrétion, un projet de recensement en continu de la population (RCP). Un rapport va bientôt être remis au Comité de direction, et les organisations syndicales vont enfin, au cours du mois de juin, être officiellement informées du projet. S'il est adopté, ce projet devrait être préparé dès le RP99, et la collecte démarrerait sur le terrain à l'automne 2001.

Un recensement en continu qui remplacerait, après 1999, le recensement général de la population tel qu'on le connaît depuis le siècle dernier, ce n'est pas rien pour l'INSEE. Pourtant, aucune note officielle n'a circulé dans l'INSEE depuis le début de la mise en étude du projet, que le personnel n'a pu éventuellement découvrir qu'à l'occasion des journées de méthodologie statistique qui se sont tenues à Paris le les 17 et 18 mars dernier, où le RCP a été présenté comme une innovation technique, un "projet en l'air", sans engagement de l'INSEE.

Peur de nuire au RP99 ? refus de s'engager sur les implications potentiellement très importantes en terme de moyens, d'effectifs, de statut des enquêteurs, au moment où la Direction n'a que DOPS à la bouche (à vos souhaits!) ? Toujours est-il que nous avons, nous, décidé de nous informer et de discuter de ce projet. Et il nous semble que les enjeux tant statistiques, que pour l'INSEE et son personnel, sont suffisamment importants pour que cette discussion se poursuive.

Les raisons probables

Pourquoi un recensement en continu ? Pour l'instant, il n'y a donc pas de réponse officielle. Mais on peut quand même se poser la question. On peut y voir trois types de raisons :

Des raisons statistiques. La décentralisation, en donnant plus de pouvoirs aux régions, a intensifié les besoins de statistiques fréquentes fines, localisées, sur la population. Or un RP réalisé tous les 7 ou 8 ans y satisfait mal, car, en tenant compte du délais de publication des résultats, l'ancienneté moyenne des données est de 5 ans. Aujourd'hui, les tableaux du RP ont 8 ans, c'est beaucoup trop... Les estimations localisées de population (ELP), lancées après le RP de 1990 devaient permettre d'actualiser celui-ci. Mais cela ne suffit pas, car elles donnent des résultats plus sur les logements que sur ceux qui y habitent...

Des raisons budgétaires et organisationnelles. L'étude d'un RCP, alternatif au RP, a été lancé juste après l'annonce du report du RP 97 en 1999. En effet, un RP double le budget de l'INSEE l'année de sa réalisation, et mobilise pendant 6 bons mois une bonne partie du personnel. Ce gros à-coup n'est pas sans risques ni difficultés. Le premier danger est budgétaire, et on en a pris fortement conscience au moment du report. Le budget étant exceptionnel, il peut être refusé. De plus, la mobilisation autour du RP désorganise certains autres travaux, et notamment le programme d'enquête de cette année-là. Enfin, les gros investissements techniques ou organisationnels comme Colibri ou la lecture optique sont risqués, puisqu'on ne peut les tester en vraie grandeur avant qu'ils ne soient mis en oeuvre, et peu rentabilisés, puisqu'en général ils ne serviront qu'une fois, 7, 8 ou 9 ans après, la technique devenant obsolète.

Des raisons d'acceptabilité du RP par la population. Le RP peut être perçu comme une opération de "flicage" des citoyens par l'Etat. C'est ce qui s'est passé en Allemagne, en 1981 , lorsque les Verts, en lutte contre l'implantation de missiles de l'OTAN, ont fait campagne contre le RP, et l'ont fait échoué. Le RP, également, mobilise les mairies, et le contexte politique dans certaines municipalités, depuis les municipales de 1995, peut faire craindre des difficultés lors de la collecte.

Pour résumer, il fallait répondre aux besoins de statistiques locales sur la population plus fréquentes, et à la difficulté de financer et d'organiser, voire de faire accepter par la population, un recensement général de la population. L'idée du projet de RCP est d'étaler le RP dans le temps, ce qui pourrait permettre d'étaler aussi le budget, l'organisation, la mobilisation de l'INSEE, et d'obtenir des données plus fraîches.

L’organisation de la collecte

Le RCP doit, comme le RP, fournir une population légale à chaque commune, et une population statistique, avec des informations sur sa structure, à un niveau géographique fin.

Il est proposé de diviser le territoire en deux entités : les petites communes (moins de 10 000 habitants) et les grandes communes. Les petites seraient recensées exhaustivement tous les 5 ou 6 ans, par roulement, de manière à recenser 1/5 ou 1/6 des petites communes par an.

Les grandes communes seraient enquêtées par sondage. Elles seraient partagées en 5 strates d'immeubles, de taille égale, enquêtées à tour de rôle, et dans chacune de ces strates, ¼ des immeubles serait tiré et enquêté. Si bien que chaque année, 1/20 des immeubles (1/5X1/4) des grandes communes serait enquêté.

Au lieu d’être concentrée sur un mois, le travail de colecte serait réalisé de façon continue, sur l’ensemble de l’année (hormis les mois d’été).

Un répertoire d'immeuble localisés (RIL)

Pour tirer les échantillons d'immeubles dans les grandes communes, il faut une base de sondage. Pour cela, il est prévu de constituer dans ces communes un répertoire d'immeubles localisés, associé à une cartographie numérisée. Ce répertoire, constitué par l'INSEE après le RP99 en saisissant les bordereaux xxx, serait géré et mis à jour, par l'INSEE, à l'aide de différents fichiers (taxes d'habitation, permis de construire...), d'échanges avec les communes, et de repérages sur le terrain. Il associerait une géographie infracommunale (dessin numérisé des rues, des emplacement des immeubles...) et des informations statistiques sur les immeubles : nombre de logements, destination des logements (habitation ou professionnelles). La connexion à terme avec SIRENE, pour les logements à destination professionnelle, pourrait permettre de renforcer l'information statistique sur les tissus économiques locaux, et servir de base de sondage pour des enquêtes, nationales ou locales, auprès des entreprises. Le RCP pourrait aussi servir de support à des enquêtes locales, ou nationales ciblées sur certaines catégories de population , de manière plus souple et plus fréquente qu'aujourd'hui. Mais encore faudra-t-il en avoir la volonté et les moyens...

Une révolution culturelle : des photographies retouchées, mais plus fréquentes

Pour établir une population légale à une date donnée, par exemple à la veille d'élections municipales, il faut des chiffres sur les 4/5 de petites communes recensées ou des strates enquêtées au cours des 4 années précédentes, de plus, le sondage au ¼ n'est pas la même chose qu'un recensement (pour les grandes communes). Pour cela, il faudra donc actualiser chaque année les données de population des communes ou strates enquêtés les années précédentes : c'est là qu'on voit réapparaître les estimations localisées de population, à l'aide de divers fichiers, qui devront être fortement mobilisées. Le calage, dans les grandes communes, sur le RIL (mis à jour en continu) devrait aussi améliorer fortement la précision des résultats du sondage au quart, et de l'actualisation annuelle. (Il est cependant probable que pour les communes qui passent des seuils légaux délicats, des recensements seront nécessaires à un rythme plus serré, comme c'est le cas aujourd'hui avec les recensements complémentaires.) je ne sais pas si cette phrase est utile

En revanche, les résultats statistiques sur la structure de la population pourront être fournies à un niveau aussi fin que celles qui sont diffusées aujourd'hui, notamment pour les variables de l'exploitation au 1/4.

Une organisation encore largement dans le flou

Un des gros intérêt du projet est de permettre à l'INSEE de maîtriser tout le processus, sans passer par les mairies pour la collecte, ce qui aurait des avantages certains du point de vue de la confidentialité des données. Cela implique de se donner suffisamment de moyens. Le plus gros concerne la collecte, qui pourrait mobiliser en permanence 1 300 enquêteurs à temps plein (ou plus encore à temps partiel), répartis sur tout le territoire. L'organisation de la collecte demande également pas mal de personnel en DR, ce qui devrait renforcer les Divisions ménages en DR. Les contacts avec les collectivités locales devraient se développer fortement, pour l'organisation de la collecte, mais aussi pour la mise à jour de la cartographie et celle du RIL, pour l'actualisation des estimations de population, etc.

Le traitement des données devrait faire appel à la lecture optique, et au traitement des rejets (reprises de BI). Enfin, le RCP offre bien sûr d'énormes possibilités d'études et de diffusion au niveau local, sur la population, les déplacements, l'emploi, le tissu économique...

On voit donc que l'organisation du RCP demande des prévisions de moyens et d'organisation bien au-delà de 2003. On ne peut pas faire semblant d'ignorer les besoins en renouvellement du personnel que cela impliquera, quand de nombreux agents partiront à la retraite.

Or, en dehors d'un chiffrage très imprécis et probablement sous-estimé du nombre d'enquêteurs nécessaire, officiellement de 1200 à 1500 équivalents plein-temps, mais plutôt entre 1500 et 2000, aucun calibrage des moyens n'est pas encore réellement réalisé. Pourtant, la Direction lance DOPS tambours battant, en prévoyant de faire disparaître de certains sites des travaux entreprises (regroupement de sites SIRENE) ou ménages (regroupement de l'apurement et de la codification), alors que de tels travaux seraient en synergie évidente avec ceux du RCP.

Les enjeux principaux : la sous-traitance, la qualité et le statut des enquêteurs

Si l’on voit bien que le RCP présente des avantages certains. Il permettrait en particulier d’assurer un volume de travail en continu dans les établissements régionaux et de mieux garantir la confidentialité des données collectées. Le travail serai en effet effectué par l’INSEE, par des enquêteurs et ne passerait pas dans les communes de plus de 10 000 habitants par les mairies. le risque de constitution dans ce cadre d’un fichier de population deviendrait alors quasi nul, étant donné qu’il s’agirait d’une enquête non exhaustive.

Compte tenu du flou actuel dans les moyens et l'organisation envisagés, un des enjeux principaux est le partage entre le travail en interne et la sous-traitance, notamment pour la lecture optique, où l'INSEE pourrait avoir un intérêt d'acquérir une compétence au delà des besoins du RCP (certaines enquêtes se feront encore longtemps au moins en partie sur support papier, notamment les enquêtes par carnets, remplis par les personnes interrogées). Les moyens mis dans les traitements de rejets, dans les contacts avec les mairies, dans la qualité des estimations de population pour l'actualisation des données, dans la qualité et la rapidité de mise à jour du RIL... détermineront la qualité du RCP, et les possibilités d'exploitation statistiques au-delà du strict nécessaire.

Enfin, un volume important de travaux permanents de collecte (surtout si on prend en compte en même temps le projet de collecte en continu de l'enquête emploi) pose inévitablement la question du statut des enquêteurs. Il semblerait que la direction envisage le recours de réseaux d'autres ministères, et notamment du réseau du RGA (recensement général agricole). Mais d'où qu'ils viennent, les enquêteurs pourraient avoir un volume de travail suffisant, tout le long de l'année, pour prétendre à un statut moins précaire qu'aujourd'hui. Pour l'INSEE, c'est un des grands enjeux des années à venir.  

 

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