Les gens du voyage recensés à part
Les agents de l'Insee craignent des dérives pour cette mission confiée aux maires.
Par Marie-Joëlle GROS

samedi 05 octobre 2002



«On va permettre aux responsables locaux de recueillir des informations nominatives sur des gens qu'ils jugent indésirables.» Des syndicalistes de l'Insee

 

ui ira frapper aux portes des caravanes des gens du voyage lors du prochain recensement national ? La question peut paraître anticipée, l'échéance étant en 2004. Mais on sait déjà que l'encadrement de la collecte ne sera plus confié à un agent de l'Insee installé dans les locaux des mairies : les maires veilleront eux-mêmes au bon déroulement des opérations. Et cela inquiète les statisticiens. «Compte tenu des relations particulièrement conflictuelles entre certaines municipalités et les gens du voyage, on peut légitimement douter de la valeur du recensement», soulignent les syndicats de l'Insee.

Défiance. Les dispositions d'un recensement «rénové» ont été étudiées vendredi en réunion interministérielle. Il s'agissait de mettre au point les décrets d'application de la loi du 27 février 2002 sur la «démocratie de proximité», dont une partie modifie les conditions d'organisation du recensement. «Notre présence garantissait jusque-là le respect strict de la finalité de la collecte : le recueil d'informations pour les données statistiques. Un point c'est tout. On peut penser que les maires auront d'autres idées en tête», s'inquiètent les organisations réunies en intersyndicale (CFDT, FO, CGT). La question est particulièrement sensible pour tous ceux que l'Insee range dans la catégorie «habitat mobile» : les gens du voyage et les SDF. Des groupes fréquemment dans le collimateur des autorités locales. «On peut déjà penser que toutes les communes qui n'appliquent pas la loi Besson [l'obligation pour les villes de plus de 5 000 habitants d'aménager des terrains d'accueil pour les nomades, ndlr] n'offriront pas un caractère de neutralité suffisant, soulignent les opposants au projet. Sans parler de celles qui ont pris des arrêtés antimendicité.» Une défiance vite évacuée par la direction de l'Institut : «Les nouvelles dispositions ne changeront rien. De quel droit devrions-nous douter des intentions des 36 000 maires de France ?», interroge le directeur juridique. Seuls maîtres à bord, les maires ont toute latitude pour nommer les agents recenseurs de leur choix. «Qu'est-ce qui empêchera les maires d'envoyer la police municipale ?, demandent les syndicats. On va permettre aux responsables locaux de recueillir des informations nominatives sur des gens qu'ils jugent indésirables...»

Utilisation des données. Il y aurait pourtant une solution : laisser l'«habitat mobile» sous la responsabilité des agents de l'Insee. Car ce projet de «recensement rénové» ne leur retire pas toutes les «communautés» : ils continueront à compter dans les hôpitaux, les prisons, les foyers de travailleurs, etc. Pourquoi pas les caravanes et les bivouacs ? «On ne peut pas réserver un traitement à part aux gens du voyage. Cela reviendrait à stigmatiser ces populations, explique la direction de l'Insee. Les gens du voyage sont par nature difficiles à suivre. Les maires sont encore ceux qui, d'un point de vue pratique, sont les plus à mêmes de les recenser.»

Après son examen, vendredi dernier, par les différents ministères concernés, le «recensement rénové» ira devant le Conseil d'Etat. La Cnil (Commission nationale informatique et libertés) aura préalablement donné son avis sur le risque d'utilisation, abusive ou non, des données personnelles. Pour les syndicats, ces étapes seront les dernières cartes à jouer.