ui ira frapper aux portes des caravanes des gens du
voyage lors du prochain recensement national ? La question
peut paraître anticipée, l'échéance étant en 2004. Mais on
sait déjà que l'encadrement de la collecte ne sera plus confié
à un agent de l'Insee installé dans les locaux des mairies :
les maires veilleront eux-mêmes au bon déroulement des
opérations. Et cela inquiète les statisticiens. «Compte
tenu des relations particulièrement conflictuelles entre
certaines municipalités et les gens du voyage, on peut
légitimement douter de la valeur du recensement»,
soulignent les syndicats de l'Insee.
Défiance. Les dispositions d'un recensement
«rénové» ont été étudiées vendredi en réunion
interministérielle. Il s'agissait de mettre au point les
décrets d'application de la loi du 27 février 2002 sur la
«démocratie de proximité», dont une partie modifie les
conditions d'organisation du recensement. «Notre présence
garantissait jusque-là le respect strict de la finalité de la
collecte : le recueil d'informations pour les données
statistiques. Un point c'est tout. On peut penser que les
maires auront d'autres idées en tête», s'inquiètent
les organisations réunies en intersyndicale (CFDT, FO, CGT).
La question est particulièrement sensible pour tous ceux que
l'Insee range dans la catégorie «habitat mobile» : les
gens du voyage et les SDF. Des groupes fréquemment dans le
collimateur des autorités locales. «On peut déjà penser que
toutes les communes qui n'appliquent pas la loi Besson
[l'obligation pour les villes de plus de 5 000 habitants
d'aménager des terrains d'accueil pour les nomades, ndlr]
n'offriront pas un caractère de neutralité suffisant,
soulignent les opposants au projet. Sans parler de celles
qui ont pris des arrêtés antimendicité.» Une défiance vite
évacuée par la direction de l'Institut : «Les nouvelles
dispositions ne changeront rien. De quel droit devrions-nous
douter des intentions des 36 000 maires de France ?»,
interroge le directeur juridique. Seuls maîtres à bord, les
maires ont toute latitude pour nommer les agents recenseurs de
leur choix. «Qu'est-ce qui empêchera les maires d'envoyer
la police municipale ?, demandent les syndicats. On va
permettre aux responsables locaux de recueillir des
informations nominatives sur des gens qu'ils jugent
indésirables...»
Utilisation des données. Il y aurait pourtant une
solution : laisser l'«habitat mobile» sous la
responsabilité des agents de l'Insee. Car ce projet de
«recensement rénové» ne leur retire pas toutes les
«communautés» : ils continueront à compter dans les
hôpitaux, les prisons, les foyers de travailleurs, etc.
Pourquoi pas les caravanes et les bivouacs ? «On ne peut
pas réserver un traitement à part aux gens du voyage.
Cela reviendrait à stigmatiser ces populations,
explique la direction de l'Insee. Les gens du voyage
sont par nature difficiles à suivre. Les maires sont
encore ceux qui, d'un point de vue pratique, sont les plus à
mêmes de les recenser.»
Après son examen, vendredi dernier, par les différents
ministères concernés, le «recensement rénové» ira devant le
Conseil d'Etat. La Cnil (Commission nationale informatique et
libertés) aura préalablement donné son avis sur le risque
d'utilisation, abusive ou non, des données personnelles. Pour
les syndicats, ces étapes seront les dernières cartes à
jouer.