Plusieurs rapports de l'Insee irritent l'équipe du premier ministre

 

LE MONDE | 27.03.02 | 15h08

MIS A JOUR LE 27.03.02 | 15h16

Ses études sur la pauvreté, l'emploi et le déficit public apportent des arguments à Jacques Chirac.

Une , deux, trois études qui fâchent. Ces dernières semaines, l'irritation du gouvernement contre l'Insee est allée crescendo, au point que, à Matignon, on n'hésite plus à jeter le soupçon de partialité sur le directeur général de l'institut, Paul Champsaur. Trois études, publiées les unes après les autres, sur la pauvreté, les allégements de charges sociales et les comptes des administrations publiques sont en cause : elles ont fourni à Jacques Chirac et à son équipe de campagne l'occasion de décocher des flèches contre la politique économique de Lionel Jospin, au grand dam de l'équipe du premier ministre-candidat.

Officiellement, il n'y a aucune ombre au tableau. Personne, pas plus à l'Insee qu'à Matignon, à Bercy ou au ministère de l'emploi, ne désire porter d'accusations publiques. Tous les propos tenus – et ils vont bon train – sont donc off. Partialité pour les uns, sensibilité exacerbée en période électorale pour les autres, les tensions se sont pourtant accumulées, provoquant une discussion entre Matignon et le ministère de l'économie. Indépendant, l'Institut de la statistique n'en fait pas moins partie, en effet, du giron de Bercy. Le 6 mars, l'Insee publie son étude sur la pauvreté, qui démontre que si la situation s'est légèrement améliorée entre 2000 et 2001, ce dont s'est félicité Laurent Fabius, elle est restée globalement stable durant la période où M. Jospin était à Matignon, tandis que les difficultés de logement n'auraient pas "diminué de façon significative".

Six jours plus tard, à Marseille, où il tient son premier meeting, M. Chirac dénonce la "pente de la pauvreté" sur laquelle la France continuerait de glisser.

Ce n'est pas la première fois, mais les retombées médiatiques du document de l'Insee aidant, l'attaque est fort mal ressentie par le camp de M. Jospin, alors que celui-ci s'apprête à livrer son programme et son projet de "zéro SDF en 2007".

LA QUERELLE SE RALLUME

Du côté de l'Insee, on confesse quelques difficultés liées à cette enquête, notamment sur l'échantillonnage, mais, surtout, on met en avant une "bourde"... d'Elisabeth Guigou. La ministre de l'emploi et de la solidarité ayant fait allusion, en public, aux "bons" résultats sur la pauvreté détenus par l'Insee, celui-ci aurait alors décidé d'accélérer la publication du document, initialement prévue en juin.

Un accroc, sans plus. Mais une deuxième publication, sur les allégements de charges cette fois, rallume la querelle. Signée par deux chercheurs, elle chiffre à 460 000 le nombre d'emplois créés entre 1994 et 1997 grâce à la baisse du coût du travail décidée par les gouvernements d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé. Bien que critiquée par d'autres économistes, elle sert de référence au président-candidat, qui, dans son programme, s'engage à faire une "nouvelle baisse des charges", la mesure "la plus efficace", selon lui, pour lutter contre le chômage (Le Monde du 16 mars). Les socialistes, qui subissent le feu nourri de leurs adversaires sur les 35 heures, enragent. L'Insee se défend en indiquant, preuve à l'appui, que le document était disponible dès juillet 2001 sur son site Internet et qu'il ne pouvait donc pas être conçu comme une machine de guerre contre M. Jospin.

Le troisième épisode survient presque au même moment. Le 12 mars, l'Insee publie le résultat, provisoire, des comptes des administrations (Etat, Sécurité sociale, collectivités locales). Le déficit public (20,6 milliards d'euros) a augmenté, notamment en raison d'un excédent moins important que prévu des organismes sociaux. Parmi les causes avancées figurent la forte progression des dépenses d'assurance-maladie, mais aussi le déficit – non chiffré – du Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (Forec), notamment lié aux 35 heures. Le Figaro titre en "une": "Déficits publics, toujours plus". Furieux, le gouvernement dément le "trou" du Forec. Commentaire lapidaire de l'Insee : vivement la fin des élections. Un commentaire off, bien sûr.

Isabelle Mandraud

ARTICLE PARU DANS L'Édition DU 28.03.02