Eco & Stat
 

Syndicat nationaux CGT CFDT

COMMUNIQUE DE PRESSE

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" Trappes à pauvreté " : les étranges calculs de la revue de l’INSEE

Avec la publication, en avril dernier, d’un article intitulé " Prélèvements et transferts sociaux : une analyse descriptive des incitations financières au travail " de G. Laroque et B. Salanié (respectivement directeur et chef de division à l’Insee), la revue de l’Insee, Economie & Statistique, met en avant un message lourd de signification dans le débat social actuel: " l’incitation financière à reprendre un emploi payé au Smic paraît faible pour nombre des chômeurs et des inactifs ". Ce message, en plein débat sur la refonte de l’UNEDIC et la nécessité " d’inciter " les chômeurs à reprendre un emploi, a été bien reçu par la presse : " Les trappes à inactivité concernent plusieurs millions de personnes en France " (Les Echos, 6 avril), " Incitation à travailler : le piège du RMI " (Le Figaro, 6 avril).

La publication, par la revue de l’Insee, d’un article prenant aussi clairement parti dans un débat sensible peut déjà étonner, la Direction de l’Insee ayant à maintes reprises affirmé en matière d’études des positions de prudence et de neutralité. Mais surtout, cette étude accumule les entorses à la rigueur scientifique, au point qu’on peut s’interroger sur les réels motifs de sa publication.

La démarche des auteurs de l’article est simple – voire simpliste. A partir de données issues de l’enquête sur l’Emploi, et excluant les deux tiers de la population résidant en France, ils examinent combien rapporterait aux chômeurs ou Rmistes la reprise d’un emploi au SMIC. Notons au passage que, faute d’informations dans cette enquête, tous les revenus sauf le salaire sont reconstitués et non observés. Ils calculent donc, pour chaque ménage, la différence entre, d’une part, les prestations auxquelles il a droit quand l’un de ses membres ne travaille pas, et d’autre part, le revenu (salaire et prestations) en cas de reprise d’un emploi au SMIC. Les conclusions apparaissent alarmantes : ainsi " 40% des chômeurs (environ 850 000 personnes) (…) gagnent moins de 2000 F par mois quand ils prennent un emploi à plein temps au SMIC " (p. 17).

Or la démarche repose sur deux grossières erreurs de méthode :

1. Les auteurs, bien qu’ils affirment dépasser une simple méthode de cas-types, n’observent aucunement les comportements des personnes. Ils se contentent de supposer qu’un chômeur n’a pas de raison de reprendre un emploi au SMIC si cela ne lui permet pas d’augmenter le revenu familial de façon significative. Outre le fait que 2000 F par mois n’est peut-être pas une somme négligeable pour beaucoup de familles, les auteurs font comme si ces 850 000 chômeurs ne pouvaient espérer qu’un emploi au SMIC, alors que nombre d’entre eux sont évidemment des salariés qualifiés pour qui le SMIC n’est pas une référence pertinente.

2. Les auteurs prétendent mener une analyse de " long terme ". Cela leur permet de justifier la non-prise en compte dans leurs calculs du mécanisme dit de " l’intéressement ", dont l’objet est précisément de rendre plus attractive une reprise d’emploi pour les allocataires du RMI par la possibilité de cumul, pendant un an, du revenu d’activité et de l’allocation. Or, dans une véritable analyse de long terme, s’il est possible de négliger l’intéressement qui ne dure " que " 12 mois, il est en revanche absurde de négliger le fait que la reprise d’emploi, même si elle peut apparaître financièrement peu avantageuse à court terme, améliore évidemment la capacité des personnes à s’insérer sur le marché du travail et à accroître leur " capital humain ", donc leurs ressources futures. De même sortir du RMI vers l’emploi permet d’accumuler des droits sociaux (à indemnisation du chômage, à retraite) qui rendent d’autant plus " attractive " la reprise d’emploi. Ces effets de moyen ou long terme, dont les auteurs n’ignorent évidemment pas l’existence, sont néanmoins écartés de l’étude pour les besoins de la démonstration.

De plus, les calculs sont entachés de nombreuses erreurs et imprécisions : ainsi, ils aboutissent à un nombre de RMIstes surestimé de 1 million ( !), les droits à prestations familiales sont incorrectement calculés, etc.

Sur un tel sujet, Economie & Statistique est loin d’éclairer le débat social. En publiant cet article à la rigueur scientifique plus que douteuse, la revue de l’Insee semble au contraire prendre parti, d’autant qu’aucune autre étude qui proposerait une méthode ou un point de vue différents n’est publiée dans le même numéro. On peut d’autant plus s’inquiéter qu’est maintenant annoncé (voir Les Echos, 22 mai) un nouvel article des mêmes auteurs, qui prétendraient cette fois-ci démontrer que la moitié des chômeurs sont des " chômeurs volontaires " et que le SMIC est destructeur d’emploi…

Les syndicats CGT et CFDT de l’Insee, attachés depuis toujours à défendre l’indépendance et la déontologie scientifique au sein de l’Institut, s’inquiètent de ces dérapages dans les études publiées par l’Insee. Ils considèrent comme dangereux que ce type d’étude puisse servir de caution scientifique à la mise en oeuvre de mesures de politique économique ou sociale. Ils demandent que l’Insee retrouve son rôle d’éclairage et d’animation du débat économique et social, à l’aide de travaux rigoureux et diversifiés, inspirés d’une pluralité de méthodes et de références scientifiques.

Paris, le 14 juin 2000

 


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